LA DONATION DE SALIM BECHA
AU MINISTÈRE DE LA CULTURE
Huit mille pièces offertes à l’Algérie, un trésor de générosité
Par : AlI EL HADJ TAHAR
Cette donation est non seulement la plus importante de l’histoire de l’Algérie indépendante mais l’une des plus importantes de l’histoire de l’humanité qui compte des donateurs d’œuvres d’art.
Le ministère algérien de la culture vient de recevoir une donation exceptionnelle de près de 8000 pièces de collection de la part de maître Salim Becha, un notaire algérois originaire de Biskra. La donation unilatérale s’est effectuée par acte notarié attestant la cession matérielle des pièces et de tous les droits y afférents. Cette donation est non seulement la plus importante de l’histoire de l’Algérie indépendante mais l’une des plus importantes de l’histoire de l’humanité qui compte des donateurs d’œuvres d’art. Maître Becha collectionne des œuvres depuis une vingtaine d’années, et il considère comme une responsabilité citoyenne de redonner une partie de ce que l’on gagne à son peuple et à son pays. Sa boulimie de collectionneur lui permet de satisfaire son plaisir de posséder des œuvres ou des objets, de les montrer à des amis puis d’élargir le partage en les offrant à des musées. Collectionneur averti, son goût éclectique lui a permis d’amasser des dizaines de milliers de pièces qu’il offre généreusement à son peuple. Sa décision d’en faire don, nous dit-il, a aussi été motivée par le fait que certaines pièces exigent des conditions particulières de conservation que seuls des musées peuvent réunir. «D’ailleurs, nous dit-il, je n’ai pas l’impression de m’en séparer, nous dit-il, car dans un musée je pourrai les visiter quand je veux.» L’acte notarié de la Donation Becha stipule que le donateur n’accepte aucune compensation qu’elle que soit sa valeur. Cependant nous espérons que la rétribution morale soit à la hauteur du legs qu’il a fait au peuple algérien. Une salle de musée en son nom ou même d’un musée serait un encouragement pour des initiatives similaires dans notre pays où ce ne sont pas les bons patriotes qui manquent. La donation n'est pas une cession sans contrepartie : le donateur attend un bénéfice moral en termes de reconnaissance et d’image, ce que l’État se doit de faire afin d’amplifier la portée éducative et morale du geste philanthropique. Encourager le mécénat c’est permettre son développement mais aussi son extension à d’autres domaines de la culture, comme le cinéma, le théâtre, les bibliothèques, la restauration du patrimoine comme c’est le cas en Occident… Après étude, classement et élaboration de fiches techniques, la Donation de Maître Becha sera affectée aux différents musées algériens, pas seulement algérois, nous espérons. Les tapis iront au futur Musée du tapis d’Alger et au futur Musée du tapis de Babar à Khenchela. Les masques iront au futur Musée Africain qui sera créé à Alger suite à une proposition de l’OUA, et les autres pièces, dispatchées entre les musées du Bardo ou des Antiquités, de Cherchell, Tipasa, Constantine, Oran, Tébessa ou Annaba qui n’ont pratiquement rien acquis en cinquante ans tout comme le Musée pour Enfants et le Musée des Arts et Traditions Populaires qui ont été créés après 1962. Cela réchauffe le cœur qu’un donateur offre une collection fabuleuse mais c’est d’abord à l’État que revient le devoir et la responsabilité d’enrichir ses musées s’il leur réserve réellement un rôle culturel et éducatif et non pas celui de simples entrepôts, si ce n’est de mouroirs pour objets. À peine 60% des 8000 pièces offertes par Maître Salim Becha au ministère de la culture sont exposées au MAMA mais l’exposition est à voir impérativement. La visiter c’est donner crédit et reconnaissance à cette donation d’une haute portée patriotique, morale et symbolique. La donation est classée en peintures, enluminures et miniatures, manuscrits, céramiques, cuivres, industries lithiques, fossiles, armes, bois, bronzes, masques africains, médaillons, mobiliers, numismatique, tapisseries et textiles. Elle concerne aussi différentes périodes depuis la préhistoire ainsi que plusieurs pays du monde dont l’Algérie, le Cameroun, le Niger, la Chine, les pays de l’ancienne Mésopotamie et l’ancienne Phénicie, l’Inde, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Iran, la Turquie, le Mexique, la France, l’Italie… L’exposition qui lui est consacrée porte le nom de « Cabinet des curiosités de maître B.S. » mais c’est beaucoup plus que cela car les pièces ont été choisies avec goût et une connaissance pointue, notamment dans les domaines difficiles du tapis ancien, du masque africain, de la numismatique et du manuscrit. La donation comprend plus de 370 tapis de Babar (Khenchela) ainsi qu’une vingtaine de tapis persans et turcs majeurs, c’est-à-dire vieux de deux ou trois siècles. En réunissant plus de 370 unités anciennes de Babar, le notaire a voulu les arracher aux acquéreurs étrangers qui convoitent les vieilles pièces en vue d’enrichir leurs collections et musées. Il a donc fait une véritable opération de sauvetage, qui doit inciter l’État à faire de même pour le tapis des autres régions du pays, notamment pour les collections des futurs musées du tapis d’Alger et de Babar. Sa collection doit aussi inciter l’état à acquérir des œuvres et des pièces dans les tous autres domaines muséographiques et artistiques, car l’état n’a jamais pris au sérieux l’enrichissement de nos musées, en ne leur consacrant que des sommes dérisoires. Maître Becha a commencé à collectionner, tient-il à souligner, dans son enfance, à l’initiative de son professeur de sciences naturelles qui exigeait des élèves de ramener des insectes en classe. La leçon de chose est devenue une morale pour l’homme qui va consacrer un budget de plus en plus conséquent à sa passion avant d’acquérir des objets plus coûteux dans les salles de vente comme Drouot et Christie’s, faisant du chineur qu’il était un grand collectionneur comme en témoignent ses magnifiques masques africains, ses tapis persans d’Ispahan et de Qom, ses deux tentures qui ont été offertes par le Sultan ottoman au Dey d’Alger au début du 17e siècle et qui pourraient valoir actuellement des centaines de milliers de dollars, ses 4000 pièces de numismatiques et ses cinquante pièces en or et d’argent, ce deraa (chemise de combat) d’un grand chef arabe calligraphié de versets et de hadith, ce magnifique cheval en terre cuite chinois daté entre -226 à 200 ap. J.C., cette jarre en terre cuite chinoise du 3e millénaire avant notre ère, ces manuscrits de la main même de Victor Hugo, Napoléon et Simone de Beauvoir, cette superbe miniature de Mohamed Racim et surtout ce Fromentin qui sera bien à sa place au Musée des Beaux-Arts d’Alger ou dans un éventuel Musée des Orientalistes si le ministère algérien décide de créer une institution qui offrira un grand rayonnement culturel à notre pays d’autant que les plus grands orientalistes comme Delacroix, Chassériau et Fromentin font partie de notre histoire et que le temps est venu de rentabiliser cela. Aucun pays au monde ne mérite un musée des Orientalistes plus que le nôtre. Eclectique et raffiné, maître Becha a acquis un précieux foulard (ousani) en soie algérien de la période sous domination ottomane et dont seuls quatre ou cinq pièces circulent à travers le monde, 4000 pièces de numismatiques et 50 pièces en or, de vieux tapis turcs de la célèbre ville de Héréké dont les pièces récentes ne valent pas moins de 20000 euros alors qu’un tapis ancien est beaucoup plus cher. Des papillons et des fossiles aux pièces de monnaie grecques, romaines, byzantines, abbassides, almohades ou hafsides, des armes lithique aux armes à feu, de ce magnifique livre d’astronomie aux somptueuses miniatures à ces Coran dont un très précieux en Neskhi décoré avec de la feuille d’or, en passant par ces amphores, ces lampes à huiles, ces statuettes ou ces chaises afghanes, la passion de Becha ne tarit pas. Collectionner des objets, c’est aussi rendre hommage aux civilisations qui les ont produites, c’est rendre hommage à l’homme et à son œuvre. Et dans ce domaine, le passé comme le présent montrent que les peuples sont égaux car ils ont produit avec une science et un art équivalents et ils se doivent de collectionner et protéger leur patrimoine avec une passion et une raison pareilles. Becha a su dénicher des dinars algériens en or de l’époque Almohade, ce qui montre l’existence d’un État et d’une industrie qui maîtrise les technologies de l’époque. Le goût de Becha pour l’art est tout aussi éclectique : à son pays, il a offert une bonne collection de peintures orientalistes dont des Lazerges, des H. Fabre, Noiré, un Fromentin, les pré-impressionnistes Berthes et Edma Morizot, une lithographie de Picasso et trois peintures d’André Masson, deux huiles et un dessin d’Issiakhem, des Nedjaï, des Nedjar, quatre Ziani, des Samsom, des Chegrane, plusieurs Bourdine, plus d’une cinquantaine d’œuvres d’Ouamane et deux Baya datant de 1940 soit d’avant son exposition à la galerie Maegh en 1946… Outre le Racim, la miniature et les arts musulmans comprennent un Ali Kerbouche, un Fellahi, plusieurs anonymes assez anciens dont un du 19e siècle… Les 90 manuscrits comptent quelques livres de grande valeur muséale et plusieurs Corans anciens ainsi qu’un livre d’astronomie aux somptueuses peintures ainsi qu’un ouvrage d’exégèse du Coran d’Ali El Wahidi datant de 1028 H. Les œuvres et les pièces offertes à l’Algérie par maître Becha sont une invite permanente à la joie, au raffinement, à l’excellence. Ce don est un très beau signe d’espoir pour notre pays.LIBERTE
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