ABDERRAZAK DOURARI, DIRECTEUR DU CENTRE PÉDAGOGIQUE POUR L'ENSEIGNEMENT DE TAMAZIGHT
«L'élite algérienne est marginalisée»
Chercheur à l'Université d'Alger II, il vient de participer à Oran à un colloque sur l'Université algérienne. Il pense que jusqu'à présent, l'Algérie n'a pas donné d'institution qui prenne réellement en charge la langue.L'Expression: Vous venez de participer à un colloque international sur l'Université algérienne, pouvez-vous nous éclairer sur le sujet?
Abderrazak Dourari: Repenser l'université est venu après avoir fait le constat de l'effondrement de l'université et du système éducatif de manière générale. De nos jours, l'élite algérienne, qui a été formée après 50 ans d'efforts, sert en partie des pays autres que celui d'origine. Ces pays auraient pu se passer d'elle, mais tenant compte de son savoir et de ses compétences, elle est aux Etats-Unis, au Canada, en France, en Espagne et j'en passe. Tout en rappelant que ces pays n'ont pas déboursé un centime pour sa formation. L'Algérie l'a formée et l'a donnée gratuitement à d'autres nations qui en tirent profit. Le système de l'enseignement supérieur est actuellement dans une crise structurelle très grave. Aujourd'hui, l'Algérie a besoin de son élite disséminée à travers le monde et dont elle a besoin en urgence, afin de trouver les remèdes nécessaires. De nos jours, on est obligé de prendre des décisions courageuses et très importantes, notamment le recours à la coopération, comme cela a été fait dans les années 1970. C'est malheureux, mais on n'a pas d'autre choix. Je vais aller plus loin, il faudrait probablement penser à l'implantation d'universités étrangères sur le territoire national, au moins pour redonner l'idée de ce qu'est l'université. Ceci dit, une nation ne peut pas se construire sans son élite, ou en l'ignorant.
Qu'en est-il des thèmes abordés et de la qualité des participants pour revoir cette problématique universitaire?
Le colloque est organisé par l'Université d'Oran. Je ne suis qu'un participant de l'Université d'Alger II. Mais il y a des universitaires algériens qui activent sur le territoire national et d'autres expatriés qui viennent de l'étranger, notamment du Canada et de France. C'est donc, une partie de l'élite nationale expatriée qui vient nous aider à mieux comprendre ce qui se passe dans notre université en partageant son expérience et son savoir scientifique. Ce colloque vise à établir essentiellement un constat et prendre connaissance et conscience de la réalité et du niveau de la catastrophe à laquelle est arrivé le système de formation en Algérie.
Vous êtes le directeur du Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement de tamazight (Cnplet). Où en est-on avec la langue amazighe en Algérie?
Jusqu'à présent, l'Algérie n'a pas donné d'institution qui prenne réellement en charge la langue amazighe de manière générale. Cette langue a vraiment besoin d'une institution dotée de moyens humains et matériels qui prenne en charge la recherche et la promotion de la langue amazighe de manière sérieuse. C'est la recommandation qui a été donnée lors du dernier colloque que j'ai organisé vers la fin du mois d'avril 2012 à Boumerdès. C'est aussi l'orientation qui est préconisée, il me semble, au Maroc. Au-delà de la segmentation du champ linguistique de la langue amazighe et de la langue arabe, il est plus intéressant d'avoir une institution nationale des langues avec des départements spécialisés pour les deux langues. Les autres langues comme l'anglais, le français sont nécessaires.
Si l'on arrive à mettre en place l'institut, cela nous permettra de traiter toutes ces langues avec le même potentiel humain pour que le champ linguistique ne soit pas segmenté. Que l'arabe scolaire, que j'appelle la langue de l'école, serve dans le domaine formel, dans les niveaux où il peut servir. Que la langue française serve aussi dans les domaines où elle peut servir, tamazight idem, pour la langue arabe etc. Nous sommes une société plurilingue. Il est normal de la gérer avec des mentalités et des lois qui intègrent le pluralisme et non pas qui ramènent à l'effacement magique des différentes paroles.
Justement, dans un passé récent, vous avez insisté sur la nécessité du rattachement du Cnplet au ministère de l'Enseignement supérieur au lieu du ministère de l'Education nationale.
C'est très simple. C'est parce que dans notre cas, nous sommes le seul pays dans la planète où le ministère de l'Education nationale n'a pas le droit de faire de la recherche. Six ans après l'installation de ce centre, je ne peux pas recruter des chercheurs et cette situation pose un grand problème. Le centre comme l'université, ne se construisent pas uniquement avec des murs. C'est plutôt, le corps professoral qui constitue l'établissement de recherche scientifique que l'on trouve dedans. Dans le centre que je dirige actuellement, je rappelle encore que je n'ai pas de chercheurs qui peuvent faire avancer les choses. Si l'on veut libérer la recherche dans le domaine de tamazight, si l'on veut créer réellement une autorité scientifique régulatrice des discours linguistiques, il est nécessaire de mettre en place une institution digne de ce nom et forte non seulement de par ses budgets, mais aussi de par son statut et la flexibilité des lois en même temps. A titre d'exemple, j'ai parlé de l'importance d'une académie depuis des années. Car l'académie est capable de mobiliser et de recruter des chercheurs spécialisés dans le domaine des langues de l'étranger. Qu'ils soient Italiens, Allemands, Russes, Français ou tout simplement Algériens établis à l'étranger pour être au diapason de ce qui se passe un peu partout dans le monde par rapport à la problématique. Mais, je dirais que, malheureusement, tant qu'on n'a pas d'institutions de recherche dignes de ce nom, on ne peut dire qu'on a donné quoi que ce soit pour la langue et la culture amazighes en Algérie.
C'est regrettable de laisser tamazight, aujourd'hui, à des novices et à des gens qui font du militantisme. Beaucoup sont des militants pour la cause et d'autres figés et contre cette langue. Au lieu de régler la problématique de tamazight une fois pour toutes, dans un esprit scientifique en Algérie, et qui y va pourtant dans l'intérêt et l'avenir des langues dans le pays, on continue à faire la sourde oreille en retardant sa prise en charge concrètement. D'ailleurs, j'irais plus loin encore, même la langue arabe n'est pas prise en charge correctement. Il n'est pas normal que la langue arabe, qui est celle d'une grande civilisation humaine, soit réduite au segment conservateur. Il n'est pas normal de réduire la langue arabe à la simple expression religieuse du conservatisme. C'est une langue de la philosophie, c'est une langue de l'humanisme, dire beaucoup d'humanisme écrit dans cette langue classique, que j'appelle aujourd'hui la langue scolaire, pour un ensemble de raisons qu'il est difficile d'exprimer en quelques mots.
Vous avez parlé de manque de moyens, pouvez-vous être plus précis sur la question?
Pour la langue amazighe, je répète qu'il est nécessaire d'avoir une institution de recherche digne de ce nom et aussi capable de recruter des chercheurs et d'aller sur le terrain pour faire les recherches nécessaires à son évolution. C'est très clair, toutes les institutions de tutelle sont au courant de cette demande. Peut-être que le passage à l'enseignement supérieur me permettra de recruter des chercheurs, parce qu'il y a déjà des chercheurs à l'enseignement supérieur qui peuvent répondre aux besoins de la demande en matière de recherches linguistiques. S'agissant de la langue arabe, soit elle dépend directement de la présidence de la République qui lui donne beaucoup de possibilités à son développement, soit de l'enseignement supérieur qu'il faudra doter de moyens nécessaires. Par ailleurs, le centre de recherche Crtsdla (Centre de recherche technique scientifique pour le développement de la langue arabe), qui dépend du secteur de l'enseignement supérieur, est déjà opérationnel. Je ne vois pas pourquoi la langue amazighe ne bénéficie pas du même statut, du moment que son rattachement au ministère de l'Education ne permet pas de recruter et de gérer les chercheurs pour faire de la recherche scientifique dans la profondeur de la problématique de tamazight. Actuellement, au centre Cnplet, je ne possède que le budget et les murs. Depuis janvier 2005, j'ai signalé la nécessité de la mise en place du statut qui permet la recherche scientifique dans le domaine amazigh, à ce jour, en vain. Depuis janvier 2005, que j'ai dit qu'un centre de recherche sans statut, c'est pareil à une voie sans issue. On m'a demandé de proposer un projet de statut, j'en ai proposé, mais malheureusement la proposition a complètement disparu des bureaux des services concernés.
Justement, il y a quelques mois vous aviez avancé que si jamais on ne vous donnait pas les moyens nécessaires pour accomplir vos projets de recherche, pour faire avancer la langue amazighe, vous démissionneriez...
Cela fait longtemps que j'ai parlé de démission et ce, à défaut de la mise en place des conditions qui permettent de faire avancer tamazight. Mais je dis que si cela ne relève que de ma démission, il n'y a absolument aucun problème. Si ma démission permettra de mettre en mouvement le Cnplet, demain je pars.L'EXPRESSION Par
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