Evocation. Un déjeuner intime avec Césaria Evora à Alger
Une rechta sans tabasco
La célèbre chanteuse capverdienne, Césaria Evora, décédée le 17 décembre 2011à l’âge de 70 ans, était venue à Alger en 2005.
Notre consœur, Zineb Merzouk, l’avait rencontrée. Hommage à «la diva aux pieds nus».
Aussi surprenant que cela puisse paraître, le souhait de la grande chanteuse capverdienne, en arrivant à Alger, était de goûter la cuisine traditionnelle du pays. Difficile de réaliser son vœu en si peu de temps ? Dutout ! J’ai tout de suite décidé de lui rendre les honneurs dus à son rang en l’invitant cordialement à venir déjeuner chez moi avec ses compagnons. Il a fallu plusieurs heures de palabres pour décider d’un menu. On ne reçoit pas Mme Césaria Evora tous les jours ! Dans ce genre de situation, on a envie de se pincer pour y croire. Et puis, le grand moment arrive. Mardi 19 avril. J’attends mon invitée à Châteauneuf (Alger). Elle arrive à bord d’une belle Mercedes noire, sièges en cuir.
Abdelghani, d’Arts et Culture, est au volant. La diva est à l’avant. Derrière, son amie et traductrice, Patricia, et l’un de ses managers, José. Je prends place dans la voiture et fais le guide jusque chez moi. L’artiste reste silencieuse comme pour mieux s’imprégner des couleurs d’Alger.Mes parents et ma sœur l’accueillent chaleureusement. 11h 30 : la reine capverdienne est installée dans notre salon. Vêtue d’une longue tunique sobre, sombre, bleu nuit comme les profondeurs océanes de l’Atlantico, les poignets chargés de bracelets en or. Ses doigts, ornés de quelques bagues, se terminent par des ongles longs, soigneusement vernis de couleur prune. Elle n’est pas pieds nus, mais elle est bel et bien là. Et elle a bien chaussé des mules noires.
J’ai envie d’appeler tous ses malheureux fans qui n’ont pas pu obtenir de billet pour les deux concerts de Césaria Evora à la salle Ibn Khaldoun. J’hésite entre les narguer et les convier à partager ce moment avec moi ! Mais, il y a des jours où il faut savoir rester égoïste et garder tout pour soi. Savourer un temps. J’ai juste fait l’effort de convier quelques fans proches de la chanteuse. Pour mettre de l’ambiance, un CD d’andalou diffuse la belle et mélodieuse voix de Beihdja Rahal. Césaria Evora tend l’oreille et semble savourer ce rythme langoureux sans demander le moindre détail. Sans être nerveuse, elle enchaîne cigarette sur cigarette. Elle regarde son monde parler. Dans la cuisine, on s’affaire dans tous les sens.
C’est que la diva doit déjeuner au plus tard à 12h30. C’est certainement là son unique caprice. Parce que cette grande dame est surprenante par sa simplicité et sa réserve. Elle semble presque s’étonner de tant d’égards. La star n’a vraiment pas la grosse
tête ! Pourtant, elle devrait, non ? La discussion s’anime en attendant de passer à table. Elle sort de sa petite bulle et pose quelques questions anodines à ceux qui l’entourent.
tête ! Pourtant, elle devrait, non ? La discussion s’anime en attendant de passer à table. Elle sort de sa petite bulle et pose quelques questions anodines à ceux qui l’entourent.
Ceux-là sont encore sous le choc et complètement sous le charme. Elle me demande ce que j’ai pensé de son concert d’hier. Je lui explique que je n’avais pas réussi à avoir des billets, même pas pour la deuxième soirée. Et là, surprise, elle me dit que je serai son invitée d’honneur et que je pourrai amener quelques personnes avec moi ! Etre l’invitée d’honneur de Césaria Evora, vous vous rendez compte de ce que cela peut signifier ? C’est le genre de situation qui vous fait planer, qui vous donne des insomnies, qui vous fait voir la vie sous un angle nouveau, qui vous donne le tournis... Eh ! Pardon, je perds un peu la tête là ! Césaria Evora parle peu d’elle-même, sauf pour évoquer cette petite douleur lancinante à la main gauche, un petit rhumatisme récalcitrant.
Bien sûr, elle parle aussi de son petit pays, pour dire qu’il y fait bon vivre et pour dire que le poisson y est excellent. Et à propos de nourriture, c’est le moment de passer à table. Elle nous apprend qu’elle est à la diète : côtes d’agneau et salade de betteraves. Mais elle n’hésite pas une seconde à faire une entorse à ses habitudes face à son bol de h’rira. Elle réclame du tabasco, contre quoi je lui sers de la harissa. Nous lui demandons si elle apprécie la soupe, elle répond oui de la tête. Peu bavarde, elle mange en écoutant les bribes de conversations.
Par moments, lorsqu’elle ne comprend pas, elle demande à l’un de ses compagnons de lui traduire des propos. Elle ne connaît que quelques mots de français, mais elle arrive à saisir le sens et à se faire comprendre.
Après la h’rira, on sert une rechta sauce rouge. Là encore, elle dit qu’elle aime bien. Pour immortaliser ce moment unique, je décide de prendre quelques photos. Mais j’ignore si c’est l’effet de l’émotion ou mon incompétence face aux nouvelles
technologies : je mets un temps fou pour manipuler l’appareil numérique. Ouf, j’y arrive enfin. La conversation est toujours animée. On parle de musique et des artistes qui commencent à affluer dans nos salles...
Après la h’rira, on sert une rechta sauce rouge. Là encore, elle dit qu’elle aime bien. Pour immortaliser ce moment unique, je décide de prendre quelques photos. Mais j’ignore si c’est l’effet de l’émotion ou mon incompétence face aux nouvelles
technologies : je mets un temps fou pour manipuler l’appareil numérique. Ouf, j’y arrive enfin. La conversation est toujours animée. On parle de musique et des artistes qui commencent à affluer dans nos salles...
Ce qui n’empêche pas d’attaquer le dessert : salade de fruits de saison, douce et fraîche. Mais la diva ne finit pas sa coupe. Elle prend son café avec de l’aspartam et un verre de jus de fruits. La fatigue du premier concert n’est pas encore dissipée. C’est l’heure pour elle de rentrer à son hôtel. Il lui faut reprendre des forces pour le second concert. Il est près de 14h.
On ne peut pas la laisser partir sans prendre encore des photos de famille ! Et des autographes, bien entendu. Mais on ne peut pas la retenir plus longtemps.
On ne peut pas la laisser partir sans prendre encore des photos de famille ! Et des autographes, bien entendu. Mais on ne peut pas la retenir plus longtemps.
On la raccompagne jusqu’à la sortie avec des mercis pleins de joie, mais surtout d’émotion. Le rêve tire à sa fin... C’était un déjeuner avec Césaria Evora. Un moment inoubliable, pour moi, pour ma famille et mes proches...
L’article de notre consœur Zineb Merzouk a été publié dans El Watan du jeudi 21 avril 2005
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