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Au mieux, le gaz de schiste soutiendra dans 20 ans la consommation algérienne
L’exploitation du gaz de schiste en Algérie fait débat. Trop polluante, trop gourmande en eau, mais aussi trop coûteuse, la technologie américaine de la fracturation de la roche peut aussi multiplier par 03 les réserves de gaz algériennes d’ici 20 ans. Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach et ancien ministre des Ressources en eau, est idéalement placé pour analyser en commodo-incommodo le futur recours au gaz de schiste. Point de vue édifiant.L’Algérie a-t-elle besoin dans l’immédiat du gaz de schiste ?
Pas pour le moment, l’Algérie possède des gisements non exploités de gaz conventionnel faciles, pas chers et en quantités suffisantes. Nous n’avons pas besoin dans l’immédiat d’exploiter le gaz de schiste. Ceci dit, les spécialistes ont le devoir de faire des prévisions à long terme. L’Algérie n’étant pas à l’abri d’une extinction de ces réserves de pétrole et de gaz, le pays a tout intérêt à réfléchir dès aujourd’hui aux alternatives, il y a certes les énergies renouvelables, sauf que ces énergies à elles seules ne suffiront pas à développer des industries ou des dérivés d’énergies. L’Algérie est appelée à exporter moins de pétrole et de gaz dans moins de 20 ans et sa rente s’en ressentira. Sur cette question, les spécialistes se répartissent en trois catégories, il y a les réalistes, les pessimistes et les optimistes. Les pessimistes se basent uniquement sur les réserves prouvées aujourd’hui, sans espoir de nouvelles découvertes. Les réalistes estiment qu’il existe encore du potentiel et que le prolongement de la disponibilité de gisements est plus large, elle va au-delà de 30 ans. Alors que les optimistes disent que l’Algérie est mal explorée et peu exploitée et qu’il y a encore beaucoup à découvrir. Je fais partie de la catégorie des réalistes.
Après les énergies renouvelables, les gaz de schiste devraient-ils constituer l’autre alternative pour l’Algérie ?
Les USA produisent 200 milliards de mètres cubes par an de gaz de schiste, c’est-à-dire deux fois la production nationale de gaz conventionnel. L’Algérie doit explorer et exploiter tout hydrocarbure, toute énergie possible, dont les schistes. Cependant, il y a une très mauvaise publicité sur le gaz de schiste, pour la simple raison qu’il y a eu effectivement des accidents ailleurs, parce que des précautions n’ont pas été prises. Il s’agit pourtant de précautions rudimentaires. Cela s’est passé dans d’autres pays, aux Etats-Unis en l’occurrence, à cause d’un environnement sensible à l’exploitation du schiste en surface et en profondeur. Aux Etats-Unis, les surfaces sont occupées par des exploitations agricoles et il y a une densité de population importante qui s’oppose aux entreprises dans le secteur. Il y a eu effectivement des micro-tremblements de terre d’une densité infime, les spécialistes ont parlé d’autres effets. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en Algérie l’exploitation de schiste s’opérera sur des surfaces complètement différentes, qui n’ont aucun lien et aucune similitude avec celles de la Pologne, des Etats-Unis ou d’ailleurs. Il s’agit du Sahara avec deux millions de kilomètres carrés quasiment inhabités, sur cette plate-forme les schistes se trouvent à deux mille cinq cents mètres de profondeur, avec une telle configuration on ne peut pas parler vraiment de risque.
Certes, mais la principale critique faite à l’exploitation du gaz de schiste est sa gigantesque gourmandise en eau ?
Des spécialistes parlent, en effet, de forte utilisation d’eau. Les fracturations nécessitent de l’eau en grande quantité, plus importante que dans l’exploitation habituelle des hydrocarbures, oui, mais il faut faire des choix, et d’abord nous poser la question de savoir si nous avons besoin de cette énergie ? Autre problématique posée par les défenseurs de l’environnement, ce sont ces produits chimiques utilisés dans l’eau, des additifs utilisés à moins de 1% pour chaque litre d’eau, ils sont dangereux pour l’environnement et la santé humaine, parce que ces eaux chimiquement modifiées remontent avec le gaz à la surface du sol et peuvent causer des dégâts. Là, l’Etat doit sévir par une réglementation qui doit organiser et contrôler le devenir de cette eau, comme il le fait pour les eaux usées en zone urbaine. La réglementation doit obliger les pétroliers à traiter cette eau, à prélever les produits chimiques et à récupérer l’eau propre. La question environnementale est née de l’expérience américaine. Aux Etats-Unis les pétroliers ont fait fi de la question environnementale, en réinjectant l’eau dans les nappes phréatiques qui ont engendré des problèmes de pollution. Il est nécessaire pour notre pays qu’une réglementation stricte soit imposée, mais en dehors de cet aspect. Il faut savoir qu’en Algérie l’opération de fracturation par injection d’eau est utilisée depuis une dizaine d’années sur les gisements de Sonatrach. La nouveauté pour l’Algérie, c’est qu’il faut aujourd’hui grâce aux nouvelles techniques faire plusieurs fractures en même temps pour amener le gaz des roches, difficile à faire monter à la surface.
De ce que vous expliquez là, l’investissement dans le gaz de schiste paraît financièrement lourd. Est-ce le cas ?
Effectivement, les investissements dans l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste sont extrêmement plus importants que ceux consentis pour le pétrole ou le gaz conventionnel. A titre d’exemple, un forage classique effectué pour l’extraction de gaz sur Hassi R’mel coûte jusqu’à 10 millions de dollars. Pour le prix de l’exploration pour le gaz de schiste, il faut multiplier par six. L’investissement sera d’autant plus lourd qu’il s’agit d’un minimum de trois mille milliards de mètres cubes, selon les estimations préliminaires de Sonatrach, voire vingt mille milliards de mètre cubes dans un avenir plus lointain. Ces gisements vont remplacer les gisements en extinction de gaz conventionnel qui se situent actuellement à moins de trois mille milliards de mètres cubes, donc nettement inférieurs aux déclarations faites par les spécialistes de Sonatrach.
Pour l’heure, cet effort financier assez conséquent n’est pas vraiment à la portée de Sonatrach, en tous cas pas dans l’immédiat, il faudra recourir dans un moyen long terme, le plus possible aux partenariats étrangers. En fait, tout ce qui se dit aujourd’hui en Algérie sur le gaz de schiste est mal communiqué par Sonatrach. L’opinion publique pense que c’est Sonatrach qui va exploiter incessamment ces gaz, alors que la société vient à peine de lancer des études d’évaluation. Une évaluation doit être faite dans les gisements potentiels se trouvant précisément dans l’Erg oriental et dans l’Erg occidental, dans toute la région du Touat et le bassin de Tindouf. Les gaz de schiste se trouvent un peu partout dans le pays. Même au nord. Mais il sera difficile de les exploiter.
Comment situez-vous le gaz de schiste dans la problématique du mix énergétique national de demain ?
Si l’Algérie venait à développer le gaz de schiste, il n’est pas certain qu’elle puisse l’exporter. Et d’ailleurs, je ne le pense pas. Ce gaz ne viendra qu’au bout de 20 années, et il ne sera pas destiné à l’exportation, mais à notre propre consommation nationale à des prix certainement supérieurs au gaz conventionnel utilisé actuellement. Le pays doit produire lui aussi un mixte énergétique sur la base de plusieurs ressources, pour assurer d’abord sa consommation nationale. Il faut se rendre à l’évidence, au chapitre des exportations algériennes, d’ici 20 ans nos ambitions seront obligatoirement revues à la baisse. Il y a une multitude d’énergies développées par les pays, traditionnellement consommateurs, qui tendent à diminuer leur dépendance vis-à-vis des exportations des pays producteurs d’hydrocarbures. Ce sont des bouquets énergétiques, allant du solaire à l’éolien et aux gaz non conventionnels. L’Europe, notre principal débouché, cherche à satisfaire ces besoins énergétiques à hauteur de 20% rien qu’avec du renouvelable d’ici 2020 afin de consommer national.
Iterview accordé par Abdelmadjid Attar, réalisé par Hakima Boussaidane su Quotidieb d’Oran
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