Le budget consacré à la culture en Algérie représente les budgets de la culture de la Grèce et du Portugal réunis
Dans son rapport 2011 sur la politique culturelle en Algérie, le chercheur Ammar Kessab pointe du doigt les failles de la gestion d’un secteur en perte de vitesse. Dans sa vision panafricaine, il regrette l’absence de l’Algérie dans des rencontres fondamentales pour le développement durable de la culture.
- Dans votre rapport pour l’Observatoire des politiques culturelles en Afrique, «La politique culturelle dans la ville d’Alger», vous dites que c’est à partir des années 2000 qu’Alger a commencé à améliorer l’organisation de diverses manifestations…
En effet, tout le monde sait que pendant la décennie noire, il n’existait pratiquement pas d’action culturelle. J’explique qu’à travers les actions croisées des APC, de la wilaya et du ministère de la Culture, la capitale a connu, à partir des années 2000, un vrai foisonnement en matière d’activités culturelles. Ces trois acteurs ont dessiné un cadre de politique culturelle intéressant, plutôt efficace, à travers le croisement de leurs actions, souvent sans aucun lien entre elles. Je mets aussi la lumière sur la belle expérience de création des EPIC pour gérer les structures culturelles sous leur tutelle. J’espère que cette initiative se généralisera.
- En Algérie, promouvoir la diversité des expressions culturelles est-elle une priorité ?
La question de l’expression de la diversité culturelle est centrale. Elle est développée aujourd’hui au sein de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion des expressions de la diversité culturelle, une convention phare qui est en train de bouleverser les rapports de force entre les grandes puissances économiques et les pays en développement. L’Algérie est, avec la Libye, le seul pays qui ne l’a pas encore ratifiée, pour des raisons que personne n’arrive à expliquer, même les représentants de l’Algérie à l’Unesco ! Par ailleurs, il faut avouer que les expressions de la diversité culturelle sont bien considérées en Algérie et ne semblent pas poser problème pour les autorités. Les nombreux festivals culturels locaux et nationaux, même s’ils n’ont qu’un impact minime sur le public, sont la preuve que ces expressions ne constituent pas un complexe. D’ailleurs, c’est ce qui rend plus difficile la réaction de ces mêmes autorités face à la Convention de l’Unesco.
- Que pensez-vous des réformes sous l’ère de Khalida Toumi ?
La ministre actuelle a le mérite d’avoir pu convaincre le gouvernement d’augmenter le budget consacré à la culture pour le multiplier par sept en huit ans. Par ailleurs, l’histoire se rappellera que l’action de la société civile en matière de culture a été réduite à néant, notamment à travers une politique publique réfléchie («nationalisation» des événements culturels, récupération des espaces culturels des collectivités, etc.). A mon avis, c’est une faute fondamentale. Le jour où la ministre en place partira, ou le jour où le budget consacré à la culture diminuera, tout va s’effondrer comme un château de cartes. La mission principale d’un ministère de la Culture n’est pas d’initier des activités culturelles, mais de réguler et de financer celles initiées par les citoyens.
- Les moyens budgétaires mis en œuvre sont donc satisfaisants...
Le budget consacré à la culture en Algérie était de 68 millions de dollars en 2003 (secteur de la communication compris), il est aujourd’hui de 450 millions de dollars, soit les budgets de la culture de la Grèce et du Portugal réunis, ou encore le 1/3 du budget national du Mali. C’est en effet très satisfaisant. Mais faut-il encore rationaliser l’utilisation de cet argent public, notamment en respectant les procédures budgétaires qui font que l’ensemble des membres des conseils d’administration des organismes affiliés au ministère doivent être convoqués, pour notamment approuver les budgets.
- Quelle est la position de l’Algérie sur le continent africain en la matière ?
Il est clair qu’il existe des pays très en retard par rapport à ces sujets, comme le Soudan, la Mauritanie ou encore le Swaziland, situation due surtout à leur instabilité politique. Par contre, des pays comme le Maroc, le Bénin, le Togo ou encore l’Afrique du Sud sont à l’avant-garde. Le Maroc dirige la Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle, il abrite le siège régional de l’Unesco et va se doter d’une politique culturelle dans les mois à venir. Le Bénin a une politique culturelle nationale depuis 1991 et le Togo en a adopté une l’année dernière. L’Algérie reste un pays méconnu culturellement pour les autres pays africains, car la société civile a été pratiquement décimée en une dizaine d’années. Elle est très peu représentée, pour ne pas dire inexistante dans les événements continentaux qui traitent des industries culturelles, des politiques culturelles et des expressions de la diversité culturelle. C’est du moins le constat que j’ai fait à travers mes différents déplacements et missions d’expertise.
- Pensez-vous que les artistes ou acteurs sont bien ancrés dans l’action culturelle ?
La place de l’artiste en Algérie n’est pas encore bien définie. Souvent, il se sent seul, car à l’origine, il n’existe pas de politique culturelle qui lui permet de se positionner par rapport à elle, une politique culturelle qui protège ses droits (statut de l’artiste, etc.) et qui précise aussi ses obligations (mission d’intérêt général, de création...), notamment selon la Convention internationale de protection des artistes, envers laquelle l’Algérie a marqué son adhésion en 2007. Par ailleurs, un artiste s’épanouit avant tout dans le cadre d’une action culturelle indépendante, initiée par la société civile, car la liberté d’expression est primordiale pour l’artiste. Ce qui, malheureusement, n’est pas toujours le cas en Algérie.
- Le ministère de la Culture a-t-il une politique culturelle territoriale ? Les actions qu’il entreprend sont-elles menées en partenariat avec les différentes autorités locales ?
Certes, le ministère de la Culture initie quelques actions au niveau territorial, notamment à travers les différents organismes sous sa tutelle, comme l’ONCI ou les directions de la Culture, mais de là à parler d’une politique culturelle territoriale, je ne crois pas. Très peu d’actions sont menées en partenariat entre le ministère de la Culture et les collectivités territoriales. Cela est dû, surtout, à leur mésentente, notamment par rapport à la question des structures culturelles que le ministère souhaite récupérer, mais que les collectivités refusent de céder.
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