Entretien avec Xavier Driencourt, ambassadeur de France à Alger
L’Algérie a géré la crise avec plus de "subtilité
" mais les fondamentaux sont toujours les mêmes
Après une mission de près de quatre ans à Alger, Xavier Driencourt quitte ses fonctions d’ambassadeur de France en Algérie. Dans cet entretien, il revient sur son séjour en Algérie et l’avenir des relations algéro‑françaises.
En janvier 2011, en plein printemps arabe et après des émeutes en Algérie, vous avez été auditionné par l’Assemblée nationale française. Vous avez déclaré que la situation en Algérie n’allait pas connaître la même évolution qu’en Tunisie, où le régime de Ben Ali venait de tomber. Comment êtes‑vous parvenu à cette conclusion ?
Je dirai que j’ai peut‑être bien senti les choses à l’époque. J’ai dit aux parlementaires français qu’il ne fallait certes pas sous‑estimer le fait que les "fondamentaux", en Algérie, sont les mêmes que dans les pays voisins, qui ont connu des révoltes et des changements de régime. Une jeunesse dynamique, impatiente, avec les mêmes problèmes d’emploi, de chômage, d’émigration, la relation avec le pouvoir en place, etc.
Toutefois, j’avais l’intuition que les choses n’évolueraient pas de la même façon pour plusieurs raisons, notamment à cause de l’expérience des "années noires". Mais pas seulement pour cette raison. Je pense aussi que la nature du système en Algérie est différente de celle des voisins, la relation au pouvoir est également différente. Il y avait à la fois beaucoup de ressemblances et beaucoup d’éléments différents qui font que l’évolution de la situation n’a pas été la même.
Vous évoquez les mêmes ingrédients que les pays qui ont connu des changements. Seize mois plus tard, ces ingrédients sont‑ils toujours présents ?
Les fondamentaux sont toujours les mêmes dans tous les pays de la région. Mais je crois qu’une grande différence (il y en a d'autres, évidemment) réside dans le fait que l’Algérie a une capacité financière plus importante que celle de la Tunisie ou de l’Égypte par exemple. Cette capacité lui a bien sûr permis de répondre aux aspirations sociales qui s’expriment à travers les mouvements de contestation. Elle a géré la crise avec plus de "subtilité", c'est le terme que j'avais utilisé à l'Assemblée nationale française.
Beaucoup d’Algériens reprochent à l’Europe, notamment à la France, une certaine complaisance à l’égard du pouvoir algérien…
En réalité, ce n’est pas à l’Europe mais surtout à la France qu’on reproche cette "complaisance". On lui a reproché, dans les années quatre‑vingt‑dix, d’avoir été trop proche du pouvoir algérien et du coup de donner le "la" en Europe. Oui, c'est un fait qu'existe une proximité dans la relation. Mais proximité ne veut pas dire, à mes yeux, complicité ou complaisance.
Il y a une proximité, et c'est bien, dans tous les domaines : politique, économique, universitaire, sécuritaire… Les relations algéro‑françaises couvrent tous les domaines. Il n’y a aucun domaine qui échappe à cette proximité. Parfois, ces relations particulières peuvent être considérées, comme vous le dites, non pas comme une "proximité" mais comme de la "complaisance". Mais je crois qu’il faut bien distinguer les choses.
Dimanche prochain, la France élira son président. Comment voyez‑vous l’évolution de la relation après ces élections ?
Je pense que, quels que soient les résultats électoraux le 6 mai en France et le 10 mai en Algérie, il est souhaitable d’aller vers une normalisation et ensuite une amplification de nos relations bilatérales.
La proximité entre les deux pays ne doit pas rester au niveau des mots. Elle doit se traduire et très certainement après les 6 et 10 mai, par des initiatives et des gestes forts de part et d'autre. On parle souvent de partenariat d’exception. Mais au‑delà des mots, il faut, de mon point de vue, donner plus d’ambition, de la chair, de la densité, mais aussi de l'affection aux relations franco‑algériennes.
Quelles sont les grandes initiatives qui pourraient être prises après le 6 mai pour relancer les relations entre les deux pays ?
Je pense qu’il faut aller vers une forme de refondation de notre relation. Il faudrait un "reset", au sens informatique du terme. C’est‑à‑dire reformater notre disque dur, le cœur de la relation franco‑algérienne. Il ne faut pas que ce soit une relation qui progresse "au jour le jour", qui suive son "bonhomme de chemin" et qui tombe dans la routine. Il faut absolument se fixer un cap, un objectif ambitieux et mettre de la substance dans ces relations. Il y a par exemple beaucoup d’éléments dans le projet de traité d’amitié discuté en 2003. Peut‑être n’est-on pas obligé de reprendre l’expression "traité d’amitié". Mais il y avait un contenu et des choses intéressantes dans ce document qui pourraient faire l’objet de discussions.
Les Algériens demandent trois choses : davantage de visas, des investissements et un geste sur la question de la mémoire. La France n’apporte pas de réponses claires et donne l’impression d’esquiver ces sujets…
Ces éléments sont certes importants mais je crois qu’on ne peut pas réduire la relation franco‑algérienne à ce triptyque : davantage de visas, davantage d’investissements et un geste sur la mémoire. Ce serait réducteur et même un peu "cynique " si on disait : d'un côté, on vous accorde plus de facilités en matière de circulation, en échange, de l'autre côté, de facilités pour nos entreprises en Algérie. Ce serait réducteur de notre relation.
En matière d’investissements, un projet est particulièrement attendu par les Algériens : l’implantation d’une usine Renault. Êtes‑vous optimiste concernant ce dossier ?
Je pense qu’il faut être raisonnablement optimiste. J’ai toujours dit que c’est un dossier difficile. Les discussions entre Renault et d’autres pays étrangers où le groupe s’est implanté, comme la Roumanie ou le Maroc, ont pris plusieurs années. Il ne faut pas s’étonner que les négociations avec l’Algérie prennent aussi un peu de temps.
Vous partez à deux mois de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie. Avez‑vous laissé un programme pour permettre à la France de participer aux célébrations ?
D’abord, comme je l’ai déjà souligné, le 5 Juillet, c’est la fête des Algériens et c’est à eux de décider s’ils souhaitent que la France participe d’une façon ou d’une autre aux festivités. Ensuite, d’ici le 5 juillet, il y aura eu le 6 mai et le 10 mai. C’est après ces dates importantes dans les deux pays qu’il faudrait se poser la question de la participation sous une forme ou sous une autre de la France aux festivités du 5 Juillet.
L’Ambassadeur de France à Alger a-t-il une marge de manœuvre dans ses initiatives ?
Il est vrai que c’est un poste extrêmement sensible, politique, important et surtout "visible". Visible en Algérie mais aussi en France. La France en Algérie, c’est, si je puis dire, de la "quasi‑politique intérieure algérienne" et l’Algérie en France c’est aussi de la "quasi‑politique intérieure française". Mais au risque de vous surprendre, en quatre ans, j'ai trouvé qu'un ambassadeur de France à Alger dispose d'une grande marge de manœuvre et d'une autonomie dans les initiatives qu’il prend.
Quel souvenir garderez-vous de l’Algérie ?
Comme je l’ai souvent dit, on ne sort pas "indemne" de quatre années en Algérie. J’ai beaucoup circulé en Algérie. J’ai toujours été reçu avec beaucoup de sympathie et de gentillesse par les Algériens. Je pense que les gens qui critiquent l’Algérie en France et ceux qui critiquent la France en Algérie passent "à côté de la plaque", si j’ose dire. Ils passent à côté de la dimension humaine de la relation algéro-française. La dimension humaine, la chaleur humaine et l'affection. C’est ce que je garderai de mon passage en Algérie.TSA Propos recueillis par Lounes Guemache
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