Saïd Boulkroun, non-voyant et animateur radio au cœur ardent
MILA - Mis à part ses éternelles lunettes noires, rien ne distingue Said Boulkroun, l’animateur vedette de Radio Mila, du reste de ses confrères, lui qui naquit "sans voir le jour" un 12 novembre 1982, dans la localité montagneuse de Bahloul, au nord du chef-lieu de wilaya.
Pour un de ses collègues, Said Boulkroun, bien que né non voyant, n’est jamais abordé dans le milieu professionnel en tant que "personne aux besoins spécifiques". Il est surtout admiré et même envié pour ses capacités extraordinaires d’improvisation, son don de l’à-propos et de la répartie et, surtout, son humour décapant.
Son talent d’animateur fait "sauter le standard" de la station Radio de Mila dès que débutent ses émissions "tahya oua nagham", "moubdiaoun" et le rendez-vous hebdomadaire "kouloub khafika" qu’il présente avec son complice et collègue Mohamed-Sadek Mokrani.
C’est surtout dans cette dernière émission consacrée à la solidarité que Saïd donne la pleine mesure de ses dons de communicateur. Il fait montre, au grand bonheur des auditeurs, d’une mémoire phénoménale alliée à une capacité étonnante de comprendre les situations humaines les plus enfouies. Des facultés qui lui permettent d’attirer la confiance des personnes en détresse, mais aussi de l’affection.
Cette émission qui a eu à accompagner et à animer six caravanes de solidarité, récemment organisées dans la wilaya de Mila, a également permis à cet animateur aveugle mais au grand cœur de mobiliser les bienfaiteurs et d’éveiller la générosité des auditeurs, contribuant grandement à faire reculer l’abattement et le désespoir dans le cœur de "ceux que le destin n’a pas gâtés", dit-il, oubliant son propre handicap.
Saïd Boulkroun a été recruté à la station régionale de Mila au mois de mai 2011. Il admet volontiers que ce fut pour lui une "chance" et une belle opportunité pour réaliser son rêve d’enfant : devenir journaliste. Le futur animateur radio n’a pu commencer sa scolarité qu’à l’âge de neuf ans, à l’école des jeunes aveugles de Chelghoum-Laïd. Pendant neuf années, il va suivre un enseignement primaire et secondaire en braille, avant de rejoindre le lycée Si El Haouès de Terrai Bainane, défiant sa situation d’aveugle de naissance.
Le baccalauréat en poche, Saïd dut se résoudre à suivre une formation en langue anglaise, faute d’avoir pu s’inscrire en sciences de l’information et de la communication, du fait que les notes obtenues ne le lui permettaient pas. Mais qu’à cela ne tienne ! Pugnace en diable, Saïd a pu poursuivre ses études grâce à son abnégation et, tient-il à ajouter, à "l’aide irremplaçable" de son père qui l’accompagnait toujours dans des déplacements à l’université.
Le jeune étudiant non voyant n’abandonne pas pour autant son rêve de pouvoir un jour exercer dans le journaliste, surtout que la Radio de Mila venait d’ouvrir ses portes, en 2009. Plein d’énergie, toujours prêt à aider son prochain, Saïd vient de créer à la maison de la culture de Mila un club à qui il donne le nom évocateur "Nadi Ettahadi" (le club du défi) et qui est destiné encourager les personnes aux besoins spécifiques dans leurs projets d’insertion sociale et professionnelle.
Saïd Boulkroun, toujours dynamique et d’une créativité débordante, ne se départit jamais d’un humour tout en finesse. A toute personne qui lui demande sa date de naissance, il répond toujours en souriant, comme pour conjurer son handicap : "j’ai vu le jour en 1982, un 12 novembre comme le sculpteur Rodin !". Saïd rejette par-dessus tout, la compassion et la pitié que l’on exprime parfois à l’endroit des personnes aux besoins spécifiques. Il considère que le handicap le plus difficile à dépasser, c’est précisément le découragement et l’absence de combativité.
Tous les soirs, Saïd Boulkroun rejoint seul, et sans difficulté, le domicile paternel dans la commune de Terrai Bainane, grâce à ses dons tactiles surprenants et à une capacité extraordinaire de se situer dans l’espace. "La canne blanche ?, c’est bon pour les aveugles", conclut-il dans un éclat de rire.APS
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