Algerie Europe coopération durable

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Patrick le Berrigaud

mardi 26 juillet 2011

Alger la Blanche son histoire

Après la conquête de 1830, la capitale de l'Algérie déborde vite des limites de la Casbah, la forteresse turque. Une exposition de la nouvelle Cité de l'architecture, à Paris, retrace l'histoire urbanistique de la ville, depuis la destruction de l'antique El-Djezaïr jusqu'aux réalisations de Fernand Pouillon.
L'aquarium tropical est toujours logé dans le sous-sol, les bas-reliefs de Janniot sont en place et les salons meublés par Ruhlmann et Prinz sont intacts. Pourtant, l'édifice d'Albert Laprade a rompu avec son héritage : l'ancien pavillon d'accueil de l'Exposition coloniale n'abrite plus le Musée des arts d'Afrique et d'Océanie (MAAO) mais une préfiguration de la future Cité de l'architecture et du patrimoine. A-t-il vraiment rompu tous ses liens ?
La première exposition de la nouvelle Cité de l'architecture est consacrée à Alger, ville emblématique de l'ancien Empire français. Il s'agit, bien sûr, des hasards de la programmation : la manifestation est organisée dans le cadre de l'Année de l'Algérie. Elle a donc été pilotée par un couple franco-algérien, Jean-Louis Cohen, directeur de l'Institut français d'architecture, chef du projet de la future Cité, et Youcef Kanoun, directeur des études de l'Ecole polytechnique d'architecture et d'urbanisme d'Alger.
Leur ambition ? Retracer le développement urbain et architectural de la capitale algérienne, de la conquête française (1830) à nos jours. Le sujet est passionnant. Le port méditerranéen est en effet un cas d'école et la plupart des grands noms de l'architecture ont laissé des traces ici. Pour matérialiser les projets, les réalisations, l'évolution de la ville, les moyens sont modestes : des plans, des maquettes, des photos, des dessins, des affiches, des peintures ont été rassemblés dans les espaces incommodes de l'ancien MAAO.
Six sections chronologiques rythment l'irrésistible développement de la Ville blanche vers l'est depuis un siècle et demi. On sait qu'Alger est née de la Casbah, la forteresse turque qui dominait la ville médiévale, réseau de ruelles labyrinthiques, enfermée derrière ses murs. A peine débarqués, les Français entreprennent de créer une place d'armes (aujourd'hui, la place des Martyrs) et détruisent le centre historique de l'antique El-Djezaïr. La rénovation du quartier de la Marine (la basse Casbah) sera engagée au moment du centenaire de la conquête, en 1930. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, il n'en restera plus rien.
Très vite, la ville sort de ses limites historiques pour gagner le front de mer. Par étapes successives, on retient le projet de l'architecte Frédéric Chassériau, qui propose de créer un boulevard le long de la mer. Napoléon III l'inaugurera en 1865. Cette espèce de rue de Rivoli maritime, avec ses immeubles à arcades, est reliée au nouveau port par un système de rampes monumentales, toujours impressionnantes. Une gare est installée en contrebas. Des immeubles emblématiques sont peu à peu construits sur le front de mer : Préfecture, Banque de l'Algérie, Casino-hôtel (l'ex-Aletti), Opéra (aujourd'hui le Théâtre national), palais des Assemblées. Derrière pousse le quartier d'Isly avec ses grands magasins et ses cafés.
Au début du XXe siècle, une vague néomauresque saisit Alger. On élève des édifices "arabisants" (la Grande Poste, le siège de La Dépêche algérienne, les Galeries de France...). En même temps, le centre d'Alger se déplace encore vers l'est, du côté du boulevard Khémisti (ex-Laferrière), où sera construit (par Jacques Guiauchain et les frères Perret) le Gouvernement général. C'est là aussi que l'entreprise Hennebique, pionnier du béton armé, mène des expériences de construction d'immeubles à ossature métallique. La rue Didouche-Mourad (ex-rue Michelet) escalade les collines avec des épingles à cheveux qui engendrent d'étonnantes séquences urbaines et de curieux édifices d'angle.
Plusieurs urbanistes (René Danger, Henri Prost, Tony Socard) essaient de rationaliser la croissance de la ville qui s'éparpille. Du coup, Alger devient le centre de débats urbains passionnés. C'est dans ce climat que débarque Le Corbusier. A partir de 1932, il va proposer un réaménagement radical de la ville. Son plan Obus prévoit l'implantation d'un quartier d'affaires à la Marine et d'une série d'immenses immeubles curvilignes sur les hauteurs ; dans ce projet un viaduc habité, véritable autoroute urbaine, surplombe la Casbah réduite à une simple citation et se déploie sur les collines, à mi-pente. Le Corbusier proposera, plus tard, d'autres solutions - dont un gratte-ciel assez beau, à implanter sur le quartier de la Marine.
Ses projets seront tous refusés, mais certains de ses principes seront retenus (notamment pour le malheureux quartier de la Marine), et les architectes algérois seront nombreux à les défendre. Parmi eux Pierre-André Emery, Jean de Maisonseul, Louis Miquel (l'un des auteurs de l'immeuble Aéro-habitat) ou Roland Simounet. L'un de ses disciples, Gérald Hamming, sera coresponsable du Groupement d'urbanisme de la région algéroise (GURA) mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale par Jacques Chevallier, le nouveau maire d'Alger. C'est ce dernier qui fera appel à Fernand Pouillon - honni des corbuséens - pour construire trois cités destinées aux populations musulmanes : Diar es-Saada, Diar el-Maçoul et Climat de France à Bab el-Oued.
Curieusement, l'exposition s'arrête pratiquement là. Elle évoque ensuite très rapidement les années qui suivent l'indépendance avec la résorption des bidonvilles de l'oued Ouchaïa par Anatole Kopp et Pierre Chazanof ; les plans d'extension vers El-Harrach et Bab Ezzouar de Brahim Ould Hénia et Rachid Sidi Boumédine ; les projets (avortés) du Brésilien Oscar Niemeyer, qui construisit néanmoins l'université de Bab Ezzouar. Mais elle occulte presque totalement les trente dernières années, c'est-à-dire la problématique d'une conurbation de 3 millions d'habitants, qui s'étend de manière anarchique jusqu'au cap Matifou, avalant au passage, dans le plus grand désordre, les riches terres agricoles de la plaine de la Mitidja. Manque de moyens ou excès de prudence politique ?
Emmanuel de Roux

 

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