Algerie Europe coopération durable

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Patrick le Berrigaud

dimanche 24 juillet 2011

ALGER ONU Madame Raquel Rolnik 2011


EL WATAN

La rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant et à la non-discrimination à cet égard, Raquel Rolnik, a effectué une visite officielle en Algérie du 9 au 19 juillet courant sur invitation du gouvernement algérien.

La rapporteuse spéciale remercie le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire pour son invitation, ainsi que pour sa coopération pendant la phase préparatoire et tout au long de cette visite. Elle remercie aussi l’équipe de pays des Nations unies pour l’appui reçu dans l’organisation de cette visite, ainsi que la société civile algérienne pour sa participation et les citoyens qui ont témoigné de leur situation.
Pendant sa visite, Raquel Rolnik s’est réunie avec différentes autorités de l’Etat algérien au niveau national, de wilaya, de daïra et communales. Tout comme elle a tenu des réunions avec les ministres des Affaires étrangères, de l’Habitat et de l’Urbanisme, et de l’Agriculture et du Développement rural. Elle a rencontré aussi des équipes des ministères de la Justice, du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, et de la Prospective et des Statistiques. Elle s’est réunie aussi avec le Conseil national économique et social (CNES) et avec la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH). La rapporteuse spéciale a eu l’occasion de se réunir aussi avec des représentants de l’administration des wilayas d’Alger, Oran et Boumerdès, aussi bien qu’avec des représentants des assemblées élues des différentes communes de ces wilayas.

Malheureusement, à cause de la grève de la compagnie aérienne, elle n’a pas pu se rendre à Ghardaïa, tel que programmé. L’envoyée de l’ONU a tenu des tables rondes avec différentes institutions des Nations unies et des représentants du corps diplomatique. Finalement, elle a rencontré des représentants de la société civile : ONG, associations, syndicats, académiciens et experts dans la question du logement à Alger, Oran et Blida. La rapporteuse spéciale a pu visiter différents projets réalisés ou en cours de réalisation dans le cadre des différents programmes de logements lancés par l’Etat (à Alger, Boumerdès et Oran). Elle a aussi visité des bidonvilles, des chalets, des cités, elle a vu des situations de logements précaires et d’habitat spontané.
Au terme de sa visite, la rapporteuse spéciale a souhaité présenter ses observations et conclusions préliminaires. Elle a tenu à préciser qu’il ne s’agit que d’observations de caractère général sur un nombre limité de questions spécifiques, alors qu’un plus large éventail de questions sera adressées dans le rapport final.


La situation actuelle du logement en Algérie


La rapporteuse spéciale apprécie l’effort important déployé au cours des dix dernières années par le gouvernement algérien en matière de production de logements en milieux urbain et rural, en particulier le logement social gratuit, et l’importante contribution budgétaire de l’Etat dans ce domaine (17,4% du budget national pour le quinquennat 2010-2014). Elle tient à souligner l’importance du compromis de l’Etat algérien en matière de logement, tout particulièrement dans un contexte international qui est caractérisé par le désengagement des Etats concernant cette question. Pendant sa visite, Raquel Rolnik a été frappée par le fait que la conception du logement comme étant un droit fondamental est très profondément enracinée dans la société algérienne et comment l’Etat considère la question du logement comme une de ses responsabilités principales envers la population. Dans ce sens, elle constate le compromis de l’Etat algérien avec son obligation de réaliser progressivement le droit au logement, bien qu’il n’y ait pas une reconnaissance légale de ce droit dans le cadre normatif interne (suite à l’amendement de la Constitution en 2008 le droit au logement n’est plus reconnu comme un droit constitutionnel).


La rapporteuse spéciale remarque que les efforts actuels du gouvernement en matière de logements sont déployés dans le cadre d’un déficit structurel et chronique de logements convenables. Cette situation déficitaire, héritée de l’époque coloniale (selon des données présentées à la rapporteuse spéciale seulement le 10% de la population algérienne vivait dans des logements convenables au moment de la décolonisation en 1962), s’est détériorée particulièrement au fil des années 1980-1990 suite à une superposition de différentes problématiques. Parmi ces dernières, Mme Rolnik souligne les effets du réajustement économique imposé suite à la baisse du prix du pétrole dans la deuxième moitié des années quatre-vingts et qui ont provoqué une détérioration des conditions de vie, d’emploi et de revenu de la population, accélérant ainsi un phénomène migratoire vers les grandes villes. Pendant cette période, l’Etat ne disposait plus de moyens pour financer une politique de logements, ce qui a provoqué l’émergence de l’habitat spontané et de bidonvilles. Le conflit des années quatre-vingt-dix -la «décennie noire»- a aussi contribué à l’accélération de l’exode rural en entraînant un déplacement de la population vers les villes pour fuir la violence. Un troisième facteur, qu’il faut prendre en considération, est la vulnérabilité du pays aux catastrophes naturelles (en particulier les tremblements de terre et les inondations dans différentes parties du pays à maintes reprises).


La rapporteuse spéciale note qu’actuellement, la situation du logement en Algérie se caractérise par un éventail de problématiques différentes. Au cours de sa visite, elle a pu constater en particulier :
- Un surpeuplement dans des logements qui ne conviennent pas à la taille des familles qui les occupent (avec de nombreux cas de familles qui habitent dans une seule chambre dans des cités bâties au cours de différentes périodes, ainsi que des maisons et des hôtels subdivisés et loués par chambre ou le partage d’un seul logement entre plusieurs familles).-L’existence d’un nombre important de bidonvilles et de formes d’habitat spontané qui manquent de conditions minimales de vie suffisante (habitabilité, services, etc.).
-La pratique de louer des garages à des privés obligés de vivre dans des situations très précaires.
-La spéculation sur les prix du loyer.
-Un nombre important d’expulsions souvent exécutées suite à des décisions judiciaires entamées par des privés.
-La pérennisation du logement d’urgence censé être transitoire (par exemple certaines personnes qui habitent depuis huit ans dans des chalets construits suite au tremblement de terre de Boumerdès).
-Le dépérissement des vieux bâtis colonial et ottoman (qui dépasse les deux millions de logements).
-Le vieillissement et la détérioration du parc bâti construit par l’Etat dans un contexte de faible entretien de la part de locataires, copropriétaires ou de l’Etat.
-Un pourcentage important du parc du logement inoccupé (14% à l’échelle nationale, selon des sources officielles, ce qui équivaut à presque un million de logements).


La politique du logement en Algérie : le défi de démocratiser et diversifier une politique basée sur l’offre


Pendant sa mission, la rapporteuse spéciale a pu remarquer que l’important investissement du gouvernement dans le domaine du logement est complètement focalisé sur la construction de nouvelles unités de logements en fonction de la disponibilité de terrain public et de critères d’éligibilité définis dans les différents programmes qu’il a établis. Les objectifs de nature quantitative ont été établis en l’absence d’une évaluation préalable des différentes nécessités qui existent dans le pays en matière de logement. Le gouvernement a ainsi établi une politique qui, mis à part le programme de résorption de l’habitat précaire, n’est pas basée sur les différentes nécessités des personnes mal logées et n’incorpore pas des stratégies spécifiques pour adresser des problèmes et questions de nature différente. Cette approche qui a donc été jusqu’à très récemment de type exclusivement quantitatif a promu un produit unique qui ne répond pas aux différentes nécessités existantes. Cette politique a ainsi abouti à la production de logements et non pas au développement d’un habitat convenable, d’autant plus que le terrain public disponible en zone urbaine est limité et que cela a amené à une énorme dispersion sur le territoire. Dans ce contexte, la rapporteuse spéciale exhorte le gouvernement à procéder à une évaluation des besoins existants en matière de logement et à axer ses politiques sur les besoins, avec des programmes plus diversifiés et des politiques d’habitat qui visent à l’intégration de l’espace urbain.


Dans ce contexte, elle encourage les efforts récents de planification urbaine entrepris sur le plan national à travers le Schéma national d’aménagement du territoire et des plans locaux, tels que le plan directeur d’urbanisme adopté par la wilaya d’Alger, parmi d’autres.
La rapporteuse spéciale a pu remarquer le manque de participation et de communication/vulgarisation dans la politique de logement promue par le gouvernement, une politique qui reste opaque pour le commun des citoyens. Elle remarque aussi qu’il reste des efforts à faire en matière de transparence et que les diverses institutions qui participent au processus d’attribution de logements disposent d’un marge de discrétion qui ouvre la voie au clientélisme et à la corruption. Tout cela, selon la rapporteuse spéciale, aurait contribué à créer un climat de soupçon et de manque de confiance de la part de la population, en témoignent les émeutes qui régulièrement explosent suite à l’affichage des listes de personnes auxquelles sont attribués des logements de type social locatif. Dans ce contexte, la rapporteuse spéciale recommande l’établissement de programmes d’outreach et la création d’un fichier unifié national des demandes de logement déposées par la population avec les points attribués et la position de chaque demandeur dans la liste. La classification de toutes les demandes devrait être publiée et rendue accessible, par exemple dans la page Web de la commune, daïra ou wilaya.


La Rapporteuse spéciale souhaite aussi souligner le manque de concertation et de participation de la société civile dans la définition, l’application, la gestion et le suivi des politiques de logement et de planification urbaine. Dans ce cadre, elle apprécie les efforts récemment entamés par le gouvernement pour être plus à l’écoute de la société civile (par exemple par le moyen de l’organisation des assises de l’urbanisme ou de la tenue des premiers états généraux de la société civile) et elle exhorte le gouvernement à s’engager dans un réel effort de concertation pour ce qui a trait à la définition des politiques de logement et à institutionnaliser des mécanismes permanents de suivi de l’application de ces politiques (cela dans le cadre aussi des réformes annoncées au niveau législatif et notamment en ce qui concerne la loi sur les associations et la représentation des femmes dans les assemblées élues). Dans ce contexte, elle recommande notamment l’établissement d’un observatoire autonome de l’habitat. Elle exhorte aussi le gouvernement à promouvoir, respecter et protéger les droits de toute personne à s’associer et organiser et les droits de défenseurs des droits de l’homme, particulièrement ceux qui sont engagés dans le domaine du droit au logement, et tels qu’ils sont définis dans la Résolution A/RES/53/144 de l’Assemblée générale (Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnues).


Situations spécifiques : Discrimination à l’égard des femmes dans l’accès à un logement convenable


Pendant sa visite, la rapporteuse spéciale a pu constater que malgré des améliorations sur le plan normatif, en particulier la réforme du code de la famille en 2005, les femmes algériennes n’ont pas encore un statut égal à celui des hommes au sein de la famille et elles continuent d’être victimes de discrimination de facto si non de jure dans l’accès au logement. Selon la loi algérienne en particulier, les femmes ne peuvent pas prétendre à la même part d’héritage que les hommes de la famille. La rapporteuse spéciale a écouté de nombreux témoignages et reçu beaucoup d’informations sur les différents types de discriminations qui existent à l’égard de la femme. Les femmes célibataires, divorcées et veuves sont particulièrement vulnérables à la discrimination en matière d’accès au logement. Les dossiers de demandes de logements de femmes célibataires ne sont souvent même pas reçues par les commissions d’attribution de logement social et très rarement des logements sociaux sont attribués à des femmes célibataires.

En outre, les logements sont attribués au nom de la personne qui dépose le dossier de demande et dans le cadre des couples, il s’agit presque toujours des époux, le titre de location ou de propriété est donc dans la majorité des cas au nom des hommes. En ce qui concerne les femmes divorcées, selon le code de la famille de 2005, seulement si le couple a des enfants et que la femme obtient la garde des enfants, le mari doit s’assurer que son ex-épouse a un logement. Ces situations sont tranchées au cas par cas par les juges qui peuvent le cas échéant demander à ce que l’épouse continue à vivre avec ses enfants dans le domicile familial ou que le mari verse à son ancienne épouse un montant censé lui permettre de payer un loyer. A ce sujet, il faut remarquer que le montant du loyer établi par le juge se base sur les prix officiels des loyers, alors que les prix réels du marché du loyer sont de beaucoup supérieurs. Dans ces cas, les femmes se trouvent dépourvues de moyens de payer un loyer et elles n’ont d’autre option que d’aller vivre dans la rue ou de rester dans le logement de leur ex-époux où elles sont souvent victimes de violences. Dans ce contexte, la rapporteuse spéciale est particulièrement préoccupée du numéro insuffisant, et dans certaines villes de l’inexistence de foyers pour les femmes victimes de violence. Face aux nombreuses discriminations existant à l’égard des femmes. La rapporteuse spéciale exhorte le gouvernement à adopter des formes de discrimination positive à l’égard des femmes en ce qui concerne l’accès au logement, elle recommande par exemple que les titres de logement soient toujours attribués au nom du couple et non pas de la personne qui dépose le dossier. De plus, elle recommande aux juges de fixer le montant du loyer que l’époux doit verser à son ancienne femme sur la base des prix de loyer pratiqués sur le marché.


Expulsions forcées


Pendant sa visite, la rapporteuse spéciale a reçu de nombreux témoignages d’expulsion qui résulteraient souvent d’actions judiciaires entamées par des privés envers des locataires. La rapporteuse spéciale exprime une préoccupation face à un phénomène qui semble être en expansion depuis l’adoption du nouveau code de procédure civile en 2008 (qui protège les propriétaires vis-à-vis des locataires). Elle est particulièrement préoccupée du fait qu’un nombre important de personnes expulsées deviendraient SDF, en l’absence de mesures de relogement ou d’indemnisation par l’Etat. Selon les informations reçues, des expulsions auraient eu lieu même pendant la trêve hivernale allant du 15 novembre au 15 mars et elles auraient affecté des personnes âgées de plus de soixante ans, alors que cela est interdit par la loi algérienne (loi du 13 mai 2007). Dans ce contexte, la rapporteuse spéciale rappelle la recommandation adressée en mai 2010 au gouvernement algérien par le Comité des droits sociaux, économiques et culturels de s’assurer que les personnes victimes d’expulsion soient indemnisées ou relogées de manière adéquate. Elle rappelle aussi l’importance de garantir aux personnes affectées par des processus d’expulsion le droit à l’assistance légale et l’accès à la justice aussi bien qu’un soutien en matière d’aide sociale et au logement quand elles sont démunies.
La rapporteuse spéciale note que la problématique des expulsions est étroitement liée à la sécurité légale de l’occupation pour les locataires et à leur capacité de paiement. A cet égard, la rapporteuse spéciale note avec préoccupation l’absence de toute forme de régularisation du marché de la location de la part de l’Etat, il en résulte des loyers très fréquemment inabordables pour la population. Dans ce contexte, la rapporteuse spéciale recommande l’établissement de politiques de réglementation du marché des loyers, de prime à la location, de plafond aux loyers, cela combiné avec l’établissement de politiques d’aide au loyer (par exemple des subsides à la location).


éradication des bidonvilles


Le gouvernement algérien s’est engagé dans une politique de résorption de l’habitat précaire recensé en 2007 à l’hauteur de 222 412 logements. Cette politique «d’éradication des bidonvilles» a accru la pression déjà très importante sur le système de logements de type social-locatif et elle a ainsi engendré un conflit entre les possibles bénéficiaires de ces deux programmes (qui se complètent pour le même type de logement produit par l’Etat).
La rapporteuse spéciale recommande d’accompagner cette politique de résorption par des politiques visant à améliorer les conditions de vie dans les bidonvilles. En effet, un temps important peut s’écouler entre le moment où les recensements ont lieu et l’attribution aux personnes concernées d’un logement social locatif. Il est de ce fait important que le gouvernement s’engage en même temps à améliorer les conditions de vie des populations des bidonvilles qui, souvent, vivent dans des conditions très difficiles depuis plusieurs années, voire des décennies. Par exemple, si dans un site il n’y a pas de raccordement à l’eau (ce qui est souvent le cas), le gouvernement pourrait mettre à disposition des habitants une citerne d’eau.
Remarques finales

Finalement, la rapporteuse spéciale estime qu’une démocratisation de la politique du logement, basée sur la participation directe des citoyens/nes et des organisations de la société civile dans la définition et l’application de cette politique, serait un pas très important pour réaliser les promesses de réformes annoncées par l’Etat.


Alger, 19 juillet 2011

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